Au tournant du XXe siècle, l'Art nouveau et l'École de Nancy (1877 - 1909) participent au renouveau des arts décoratifs, s'inscrivant dans un mouvement plus large en Europe.
Elle rassemble de nombreux industriels d’art, artistes et architectes qui souhaitent améliorer le cadre de vie de leur époque par l’emploi de formes et techniques nouvelles.
La volonté de modernité, le souci d’un développement industriel mais aussi l’inspiration de la nature sont au cœur de ce mouvement qu’il est parfois difficile de décrire, tant ses résultats sont variés.
L’association de l’École de Nancy ou Alliance provinciale des industries d’art fut créée le 13 février 1901. Elle se définit dans les statuts comme une sorte de syndicat des industriels d’art et des artistes décorateurs.
Un souci particulier est apporté à la formation des ouvriers d’art et collaborateurs, nécessaire pour le fonctionnement des entreprises. Elle était dominée par un groupe d’artistes travaillant dans le même sens et partageant un certain nombre d’idéaux, esthétiques notamment.
Les ateliers de Gallé, Majorelle, Daum, Vallin, le Verre Français, Vessière, mais aussi d’autres plus modestes, ont tous contribué à l’essor de l’Art nouveau nancéien.
Partez à la découverte des outils et processus de création, des innovations techniques et moyens de diffusion qu’elles ont alors mis en œuvre.
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LE CONTEXTE : NANCY INDUSTRIELLE, NANCY VILLE REFUGE
Les années 1870-1914 ont été des années d’intense renouvellement pour Nancy.
Après le traité de Francfort (1871), la ville devient le premier point d’accueil des Alsaciens Lorrains souhaitant rester français, ce qui explique en partie l’accroissement rapide de sa population.
Certains Alsaciens Lorrains jouent un rôle capital dans le développement commercial et industriel de Nancy, par l’apport de capitaux, de savoir-faire, ou l’implantation de leurs entreprises et main-d’œuvre qualifiée, à l’exemple des imprimeries Berger-Levrault.
La création en 1884 de la Société industrielle de l’Est, reflet de cette coopération, manifeste le désir des entrepreneurs de faire évoluer l’industrie par l’innovation scientifique, mais aussi par la formation et l’amélioration des conditions de vie des ouvriers.
Ainsi émerge un nouveau Nancy dans lequel on construit à la hâte.
Il en résulte de grande disparité architecturale : de beaux édifices de style et en pierre de taille alternent avec des immeubles de rapport et des résidences modestes.
Ces transformations urbaines sont la manifestation visible d’une évolution plus profonde de la société nancéienne, dans le creuset de l’annexion, du développement scientifique et du progrès industriel. Elle ne craint pas la concurrence parisienne, mais s’affirme avec audace, dans tous les domaines. La vie à Nancy, encore très triste dans les années 1870, est devenue joyeuse et animée.
Les fêtes les plus mémorables ont été celles de l’Exposition internationale de l’Est de la France, ouverte en 1909. Elles ont duré quatre mois et attiré 2 400 000 visiteurs.
Nancy voit sa population exploser après 1871, les Alsaciens Lorrains apportent capitaux, savoir-faire et main d’oeuvre qualifiée.
Nancy s’affirme, cette ville d’artisanat devient ville industrielle, berceau de L’art nouveau.
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Émile Gallé rend ici hommage au chimiste et industriel Ernest Solvay, dont le procédé de synthétisation du carbonate de sodium révolutionne les industries chimiques; elle rend en effet ce matériau – indispensable à la fabrication du verre – plus économique. Sur le pied du vase, les cristaux de soude évoquent la richesse souterraine du bassin lorrain tandis que le décor du col rappelle le processus de transformation du carbonate de soude.
USINES ET OUVRIERS D'ART
La formation des ouvriers d’art est au cœur des préoccupations de l’association de l’Art Nouveau et l’École de Nancy lors de sa fondation.
Si Émile Gallé fut désigné président, c’est non seulement parce qu’il jouissait d’une réputation qui dépassait déjà largement les frontières lorraines, mais également parce qu’il était l’archétype de cet artiste industriel que l’association entendait promouvoir.
Quelques chiffres permettent d’avoir une idée de ce personnel : deux cent cinquante employés sont présents en 1905 chez Majorelle; chez Daum, c’est près de trois cents ouvriers qui travaillent en 1908 alors qu’à l’usine d’art Gallé, on estime leur nombre à deux cents personnes en 1900.
Pour Émile Gallé, les ateliers les plus importants de son usine sont « le laboratoire pour les recherches relatives à la coloration des cristaux » et ceux d’études après nature, de création et composition décorative, de modelage, de ciselure et l’école de dessin et modelage pour les apprentis.
La recherche et le savoir-faire sont donc cruciaux pour le fonctionnement des manufactures, dont le processus de création est souvent identique : tout d’abord, l’étude de la nature pour les recherches de composition, de forme et de décor. Ensuite, des modèles de dessins préparatoires des pièces sont réalisés où le motif choisi est interprété; pour le mobilier s’ajoute la conception d’une maquette ou de plans grandeur nature; vient enfin l’exécution de la pièce.
En 1901, Émile Gallé est désigné président de l’École de Nancy.
Les petites manufactures nancéiennes se développent. Près de trois cents ouvriers travaillent chez Daum en 1908, deux cents à l’usine Gallé.
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Ce vase a été réalisé par la manufacture Daum pour l’Exposition universelle de Paris en 1900, à partir d’une création du sculpteur Ernest Bussière. Cette pièce est en verre multicouche. Réalisé à chaud, le verre multicouche est une superposition par cueillage successif de verre de différentes couleurs. Ce travail requiert la dextérité de verriers qualifiés. L’ensemble de la pièce est gravé à la roue.
Manufacture Daum d’après Ernest Bussière, Vase Bractée d’ombelle, 1900
UNE PRODUCTION MODERNE ET INDUSTRIELLE ?
L’Art nouveau et l’École de Nancy (1877 – 1909) s’est introduit progressivement dans les industries d’art, qui ont cependant continué la fabrication de meubles et objets puisant dans les styles historiques, alors très appréciés dans les intérieurs bourgeois.
C’est avant tout dans la réalisation de l’idéal social et politique de l’art pour tous qu’Émile Galle et Victor Prouvé envisageaient le recours à la production industrielle.
La production de ces pièces à succès garantit ainsi aux entreprises une clientèle de base.
Ce souci de rentabilité se manifeste également dans une offre élargie allant de la pièce unique à la grande série.
Tandis qu’Émile Gallé réinvestit les recherches complexes de ses créations dans une production industrielle, les maisons Majorelle ou Gauthier-Poinsignon proposent à leurs clients d’adapter certains modèles.
Les manufactures intègrent les progrès techniques de leur époque au processus de production. L’électricité sert à éclairer les ateliers et faire fonctionner les machines outils.
Dès 1902, Gallé et Daum proposent des luminaires aux formes inspirées de la nature.
La lampe en verre fait son apparition.
À cette époque se développe aussi l’utilisation de l’acide fluorhydrique qui permet des effets décoratifs nouveaux tant pour le verre que pour le textile.
Ces innovations soulèvent pour les manufactures la question de la propriété industrielle et de la protection de leurs créations. Le plus attentif à ce problème est Émile Gallé, très tôt confronté à la copie de ses modèles. Il dépose des albums de compositions inédites ainsi que des brevets lui garantissant la paternité d’une technique, comme celle de la marqueterie de verre, déposée en 1898.
Daum le fait à son tour en 1899 pour le décor intercalaire.
Le passage de l’artisanat à l’industrie permet alors de produire de plus grande quantité à moindre coût.
Permettant par la même occasion de diffuser en masse l’Art nouveau. Une réalisation de l’idéal social et politique de l’art pour tous.
1902 marque l’arrivée des premiers luminaires d’art.
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La coupe Rose de France est une oeuvre exceptionnelle tant par sa forme que par les techniques employées. Cette création a été offerte par la Société d’horticulture de Nancy à son président, Léon Simon, un spécialiste des roses. Émile Gallé choisit la « Rose de France », emblème de la ville de Metz alors annexée. Pour rentabiliser le coût des recherches pour cette fabrication, le thème a été décliné pour une production en série, comme le vase et le flacon de 1902.
Coupe Rose de France, Émile Gallé, 1901
LA RÉNOVATION DU CADRE DE VIE
L’unité dans l’art au profit d’un nouvel art de vivre est le principe majeur de l’École de Nancy, les artistes de ce mouvement ont contribué à un profond renouvellement du cadre de vie de leurs contemporains.
Promouvoir l’Art pour tous reflète en effet d’une volonté de supprimer la hiérarchie des disciplines et de créer un langage radicalement neuf et adapté aux exigences de la vie moderne.
À Nancy, ce programme est mis en application dans des réalisations où peintre, ébéniste, céramiste, architecte, maître-verrier, ferronnier et décorateur font œuvre commune pour rendre le lieu de vie cohérent et harmonieux.
La bonne entente entre les corps de métier fut un facteur de réussite, de même que la référence à la nature comme fil conducteur de l’inspiration collective.
LES LIEUX ET LES MODES DE DIFFUSION : MAGASINS, CATALOGUES ET PUBLICITÉS
Les manufactures nancéiennes ont bénéficié de plusieurs modes et lieux de diffusions, à commencer par les expositions auxquelles elles participent pour se faire connaître.
Elles sont souvent primées et conquièrent ainsi de nouveaux marchés.
À Nancy, les lieux de vente sont peu nombreux. C’est pourquoi Charles Fridrich ouvre en 1900 la Maison d’Art Lorraine, à la fois magasin de vente et galerie d’art.
Les Magasins Réunis de la famille Corbin répondent cependant à une volonté de large diffusion et proposent un nouveau mode de distribution des objets ( vendre plus mais moins cher une grande variété d’article) sur le modèle des grands magasins parisiens.
Les industriels d’art lorrains ouvrent des dépôts à Paris, mais aussi des succursales en province ou à l’étranger pour créer un réseau de distribution national et international.
De la vente directe à celle par correspondance, de multiples stratégies de commercialisation sont utilisées pour diffuser les productions.
René Lalique étonne avec ses bijoux qu’il expose à Paris, fabuleusement mis en valeur par Sarah bernhardt, comédienne de théâtre, considéré comme l’un des plus importantes artistes françaises du XXe siècle.
Le style Art nouveau s’immisce peu à peu dans la vie quotidienne. Cette nouvelle esthétique se diffuse aussi grâce aux imprimeurs qui collaborent avec de nombreux artistes.
À Nancy, elle se propage véritablement à partir de 1900 dans l’espace public, où l’on voit émerger des commerces empreints de modernité renouvelant formes et décors.
Les revues nancéiennes prirent pleinement part au succès des produits lorrains.
1909 marqua une nouvelle étape dans la volonté de valoriser la production industrielle d’arts décoratifs. Une nouvelle revue au titre évocateur, Art et industrie (qui parut jusqu’en 1914), fut alors créée.
L’École de Nancy se fait connaître grâce aux expositions, lieux de vente comme à la Maison d’Art Lorraine, dépôts de vente à Paris.
L’esthétique de l’Art nouveau se diffuse aussi grâce aux imprimeurs et revues nancéiennes comme Art et industrie (qui parut jusqu’en 1914).
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Henri Bergé, dans cette affiche publicitaire typique de l’esthétique de la Belle époque, illustre parfaitement le principe d’unité et d’harmonie dans les décors portés par l’École de Nancy. Une femme est représentée accoudée à un secrétaire au décor d’ombelle, sur lequel sont posés des bibelots. Des branches de marronnier s’étendent dans le fond, tandis que des cyclamens encadrent l’ensemble.
LES EXPOSITIONS DE L'ÉCOLE DE NANCY
Les statuts de l’École de Nancy de 1901 prévoyaient également comme moyen d’action l’organisation d’expositions à Nancy et en dehors.
Bien que les artistes de l’École de Nancy aient continué de prendre part à titre personnel à différentes expositions, il leur est apparu nécessaire, à la suite de l’exposition fondatrice de 1894, d’exposer en tant que groupe afin de faire connaître la cohérence et la variété des productions nancéiennes.
À Nancy même, l’exposition d’arts décoratifs et industriels, qui eut lieu à la fin de 1904 aux galerie Poirel a pu voir le jour grâce à des donations et des contributions financières d’un certain nombre de participants et industriels, preuve des difficultés financières auxquelles l’association était confrontée.
Lors de l’Exposition internationale de l’est de la France qui eut lieu en 1909, une section, dirigée par Victor Prouvé, fut consacrée aux arts décoratifs. Les difficultés rencontrées expliquent que cette exposition ait été la dernière à laquelle l’École de Nancy participa en tant que groupe.
Source : L’école de Nancy, Art nouveau et industrie d’art -Musée des beaux-arts de Nancy