Puisant son inspiration dans la nature, René Lalique a tiré parti avec brio des matériaux et de leurs propriétés pour créer un monde aquatique peuplé de sirènes, de poissons, de grenouilles et de cygnes ... (Par Danielle Marti)
C’est un bijou délicat, un pendentif daté de 1898-1900 sur lequel «deux cygnes se promènent tranquillement sur une eau clapotante avec des émaux d’une harmonie rare», pour reprendre les mots du bijoutier lorrain Henri Vever (Les Bijoux au salon de 1898) décrivant le travail de René Lalique.
Avec ses cygnes blancs, ses lotus et ses poissons, il reprend une partie des motifs qui composent un monde aquatique tout droit sorti de l’imagination de l’artiste.
Poissons, méduses, grenouilles, hippocampes, algues ou autres sirènes viennent s’inscrire sur une bonne partie d’une production artistique réalisée au cours d’une carrière qui se scinde, on le sait, en deux parties : Lalique bijoutier, dont le talent culmine lors de l’Exposition universelle de 1900, à Paris, où il met en scène une centaine de bijoux, pendentifs, peignes, etc … et
Lalique, maître verrier, dont les ateliers (à Combs-la-Ville en région parisienne et à Wingen-sur-Moder, en Alsace) ont produit pièces d’exception et objets en série, vases Poissons, assiettes Coquille, boîtes Sirènes ou bouchons de radiateur Grande Libellule …
«Les influences changeront, son style évoluera», rappelle Véronique Brumm, directrice du musée Lalique de Wingen-sur-Moder et commissaire de l’exposition «Le monde aquatique de Lalique».
Que René Lalique ait travaillé la corne, l’émail ou le verre, cette thématique a perduré, inspirée par une nature qu’il a toujours observée et par les femmes qu’il a beaucoup aimées.
René Lalique coupe Sirènes :
Brûle parfums Sirènes Lalique :
L'INSPIRATION DE RENÉ LALIQUE
Son inspiration première vient de l’enfance et des promenades qu’il effectuait avec son grand-père maternel dans la campagne champenoise.
Dans les forêts et les champs, il a observé et détaillé plantes et fleurs, suivi le vol des insectes et des oiseaux qu’il a par la suite abondamment copiés. Au côté des hirondelles et des serpents, des épis de blé et des ombelles, il fera donc la part belle à tout ce qui pousse et vit dans et autour des étangs, des mares mais aussi au fond de la mer.
Les photographies de nature prises à partir de 1898 aux abords de sa propriété de Clairefontaine, en région parisienne, lui servent par la suite aussi de modèles.
Il observe, interprète, dessine et «sublime tout ce sur quoi son regard se porte», souligne Véronique Brumm.
Telle bague s’orne d’une grenouille, tel pendentif de libellules, certains vases s’hérissent de piquants d’oursin, sur d’autres se dessinent des tentacules de méduses.
Décliné à travers l’imagination de l’artiste, le thème paraît inépuisable …
Quelques bateaux viennent aussi s’amarrer dans le paysage. Ainsi du surtout Caravelle, pièce en verre moulé-pressé au motif satiné, inspiré du blason de Paris.
Autre élément naturel, les mouettes gravées volettent au-dessus de l’eau stylisée de ce service, commandé par la ville pour être offert au souverain britannique George VI en visite officielle en juillet 1938.
Les 3 F de René Lalique, FAUNE, FLORE, ET FEMME
À la flore et la faune s’est ajoutée une troisième source d’inspiration, un troisième F, celui de femmes. Chez Lalique, celles-ci deviennent nymphes, sylphides, naïades et sirènes.
Elles abondent dans ses bijoux Art nouveau illustrant un «monde fantastique et réel où le visage s’auréole de chevelures ondoyantes et fleuries, où le corps voile et dévoile capricieusement sa souple nudité, où l’être humain se mue en insecte, en feuillage».
Et quelles plus ensorcelantes ambassadrices pour son oeuvre de verrier que les sirènes bleues de ses assiettes Ondines ? Virtuose du dessin, Lalique l’était aussi de la technique, mettant au point plusieurs brevets pour la fabrication de l’émail, le moulage du verre …
Assiette Ondines Lalique :
L'EAU DANS TOUS SES ÉTATS
L’artiste a su tirer parti avec brio des matériaux et de leurs propriétés pour créer l’illusion aquatique.
Ainsi, pour représenter l’eau dans ses bijoux, il emploie les opales, l’émail ou encore le verre moulé à cire perdue.
À partir des années 1910, il délaisse les bijoux au profit des créations de verre, «un prétexte plastique incomparable» dont il loue «la faculté de pouvoir être moulé, gravé, coloré, irisé, rendu opaque ou translucide, rugueux, mat ou poli».
Travail à chaud ou travail à froid, là encore il fait preuve d’inventivité. Pour obtenir les petites bulles d’eau que l’on voit, par exemple, sur le couvercle des boîtes Sirènes, il utilise la technique du verre moulé-pressé. Il joue également avec les finitions et les contrastes de transparent et de satiné.
De cette thématique aquatique, on retient aussi des pièces exceptionnelles telles que l’applique Jet d’eau (1925) et le miroir du même nom (1938).
Peu à peu, René Lalique a mis de côté les arabesques de l’Art nouveau et prend, à partir des années 1920, le virage de l’Art déco, créant des formes plus architecturées, plus géométriques, des motifs plus épurés.
Pour l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, qui se tient à Paris en 1925, il fait ériger, sur l’esplanade des Invalides, une fontaine monumentale, ouvre haute de plusieurs mètres constitués de plaques de verre évoquant l’eau qui ruisselle et ornée de cariatides.
De ces Sources de la France, qualifiées par Colette de «fontaine merveilleuse», restent les statuettes que Lalique avait ensuite placées sur des planches en bois.
Applique Jet d’eau René Lalique :
CRÉATIONS ART DÉCO
La fontaine Poissons de 1937 est un autre exemple de ses créations de style Art déco.
Sa réédition de cristal trône dans la dernière partie du musée et des éléments en verre sont présentés dans l’exposition temporaire.
Dans celle-ci, des pièces plus récentes telles qu’une réédition du panneau Coutard et des œuvres aux motifs Deux poissons, dessinés par Marc Lalique en 1953, Hippocampe, créé par le studio de création actuel, ou une grenouille Rainette signée Marie-Claude Lalique en 1995 complètent cet inventaire.
Elles rappellent que la nature n’a cessé d’inspirer l’entreprise Lalique après la disparition de son fondateur et avec elle un monde aquatique qui est devenu cristal.
Source : Le monde aquatique de Lalique (connaissance des Arts).