Partons ensemble à la découverte de la fabuleuse histoire du parfum à travers l'incroyable collection de flacons exposée au Pôle Bijou de Baccarat. Un total de 500 pièces (de 1904 aux années 1960) illustrant le rapport entre la couture et le parfum au XXe siècle...
Cet article s’est construit grâce à la visite guidée de la collection, réalisée par Monique Manoha, véritable passionnée de l’Histoire de l’art.
Cette conteuse hors pair vous fera voyager à travers les âges, de la parfumerie hygiéniste, en passant par les gantiers-parfumeurs, pour finir par la parfumerie moderne initiée par François Coty et le grand Paul Poiret.
Si vous désirez vous rendre à Baccarat afin de découvrir le prélude de l’exposition du futur musée du flacon de parfum, nous vous conseillons vivement de commencer par les visites « Première découverte » pour pouvoir ensuite revenir sur les visites thématiques qui commencent à être programmées : découvertes de quelques grands flaconneurs, techniques du travail du verre à chaud, Fascinants accessoires …
Qui a inventé, qui a créé le premier parfum ?
Actuellement les plus anciennes traces de parfum connues remontent à 9000 ans, en Mésopotamie mais on trouve aussi des traces très anciennes en Asie centrale, sur la côte Levantine … Le parfum était alors tant religieux que profane !
Du latin « per fumum » qui signifie par la fumée, le terme parfum nous renvoie avant tout à une utilisation religieuse ou médicinale, brûler des encens ou des substances végétales pour des fumigations.
Jusqu’à la Renaissance, le parfum existe sous deux formes :
- Soit sec, de type encens
- Soit gras, de type baumes et résines, conservés dans des graisses en général d’origines animales, qui par conséquent s’oxydaient, séchaient et se conservaient mal
Des tablettes cunéiformes datant du IVème millénaire avant J.C. prouvent que le peuple des Sumériens, vivant en Mésopotamie, faisait déjà commerce de « parfums ».
Durant l’Egypte ancienne, le parfum occupe une place de choix au sein des rites religieux, ce qui explique la découverte de jarres parfumées et d’encens dans le tombeau de Toutankhamon.
Peu à peu, le parfum devient l’objet d’un commerce international et s’enrichie à travers les civilisations.
Pour les grecques, le parfum est un atout de séduction. Sous l’Empire Romain, il est indissociable de la toilette.
Dans le Moyen Âge chrétien, le parfum est peu utilisé dans l’esthétique car l’Eglise à tendance à le « sataniser », le considérant comme une sorte « d’artifice du diable » qui conduit vers une forme de luxure.
Durant la Renaissance, suite à l’invention de la distillation, on consomme le parfum en interne comme en externe.
Et durant la Renaissance ?
« Suite à l'invention de l’alambic et à la découverte de l’alcool éthylique, on commence à créer des alcoolats qui ont l’avantage de bien dissoudre les huiles et les graisses et surtout de les faire s’évaporer très progressivement. Ces alcoolats seront alors aussi bien utilisé de manière interne (on les boit, et ils font office de « médicament ») que externe (on se frictionne avec) »
Monique Manoha - Responsable Pôle Bijou et Métiers d'Art Tweet
Au XVIIe siècle, la composition du parfum était réalisée par l'utilisateur lui-même, à l'aide d'une cave à parfums
Avant la découverte de la double distillation, le client possédait ce que l’on appelle une cave à parfum, contenant plusieurs flacons, sorte de coffrets contenant des flacons, un entonnoir et un gobelet pour les mélanges.
Chaque flacon contenait une base, le client réalisait lui-même son mélange, son parfum, pour la journée.
L’exposition vous présente d’ailleurs une magnifique cave à parfum, travail français du XVIIIe siècle. Cave à parfum, en marqueterie de palissandre et ébène gainée de soie moirée « bleu Louis XV » ornée de passementerie en fil d’or, contenant six flacons en cristal taillé à monture et bouchon en argent.
Début du XVIIIe, les parfumeurs et gantiers français travaillent ensemble
Ce n’est qu’au début du XVIIIe que l’on voit apparaître le métier de parfumeur dans le répertoire des métiers en France.
À ses prémices, on ne parle pas encore de parfumeur, mais plutôt de gantier-parfumeur.
Savez-vous pourquoi ?
La mode du gant parfumé se développe au XVIIe siècle, importée tout droit d’Italie par Catherine de Médicis.
L’histoire s’écrit à Grasse où prospèrent de nombreuses tanneries. Afin de satisfaire la demande de la Reine en gant, les tanneurs doivent travailler des peaux très fines et très souples.
Le problème, c’est que plus la peau est fine, plus elle s’imprègne des odeurs de tannage, ce qui est pestilentiel.
C’est ainsi que la plupart des tanneurs vont avoir une idée de génie : installer des distillateurs autour des tanneries afin de parfumer les peaux d’huiles essentielles florales dès leur fabrication.
Ces gantiers et parfumeurs forment alors une corporation qui compte vingt et un marchands. Grasse devient au XVIII ème siècle la capitale européenne de production de fleurs et de parfums.
Les tanneurs ont ensuite disparu de Grasse, mais les distillateurs sont restés, ce qui explique que cette petite ville du sud-est de la France soit devenue un symbole de la parfumerie.
La double distillation provoque la création du véritable parfum (fabrication)
Au XVIIIe siècle, la mise au point du procédé de la double distillation permet aux parfumeurs de composer des extraits de bouquets floraux à partir d’essences aromatiques et florales.
Peu à peu, les extraits capiteux à base de musc passent de mode au profit des compositions florales, plus légères, parfois appelés « esprits » ou « quintessences ».
La double distillation provoque la naissance puis l’essor des grandes maisons de parfum, qui conduit aux premières réflexions importantes sur le flaconnage.
Ce produit luxueux se doit d’être présenté dans un flacon à sa hauteur. Le parfum devient un symbole d’élégance.
« Les parfumeurs doivent relever un autre challenge. Il faut que le flacon puisse conserver et surtout garder stable les propriétés de la fragrance, ce qui va conduire à l’usage quasi unique du verre ou du cristal (découvert en 1673 par un Anglais) dans le flaconnage, seul matériau parfaitement stable »
Monique Manoha - Responsable Pôle Bijou et Métiers d'Art Tweet
C’est ainsi que débute une relation privilégiée entre les parfumeurs et les grandes manufactures verrières.
Les grands artistes verriers s’imprègnent peu à peu de cette nouvelle notion de flaconnage.
Par ailleurs, le XVIIIe siècle est un siècle où le luxe prend son essor, l’apport de nouveaux matériaux issus des grands voyages et des grandes découvertes (bois précieux, plumes exotiques, nouveaux colorants…) et les grandes fortunes naissant des nouvelles voies commerciales font naître une nouvelle économie mais aussi de nouveaux métiers et tout particulièrement métiers d’art : ébénistes, marqueteurs, gainiers, layetiers…
Les flacons à parfums vont aussi devoir s’adapter à la mode, c’est ainsi que l’on voit fleurir des multitudes de flacons miniatures, destinés à se glisser dans le costume et ainsi à permettre aux élégantes d’avoir toujours à portée de main leurs « sels » ou « sels de pamoison » pour lutter contre les évanouissements provoqués par les corsets trop serrés…
« Mais ces petits flacons pouvaient aussi cacher d’autres atouts des élégantes comme ici ce magnifique flacon de corset aussi muni d’un compartiment à « mouches » à la porte en argent gravé (faux grains de beauté de taffetas ou de velours) »
Monique Manoha - Responsable Pôle Bijou et Métiers d'Art Tweet
La Cour de Versailles, de par son utilisation abusive de parfum, est surnommée la Cour Parfumée.
Les coffrets valent parfois plus cher que leur contenu !
Regardez ce coffret de 1910 de Roger Gallet, créé pour la ligne « Souvenir de la cour ».
En bois, intégralement gainé de papier gaufré et embouti à chaud, doré et laqué, sur lequel on a créé un décor médaillon central en lithocromie bombé et représentant Marie Antoinette, et dont l’intérieur est entièrement doublé de satin bleu bouillonné.
A priori, il accueillait un ensemble parfum, Cologne, savon de la fragrance « Souvenir de la Cour »… Sans doute moins onéreux que le coffret lui-même.
Naissance de la première eau de Cologne au XVIIIe siècle
Le XVIIIe, siècle des Lumières, est un grand consommateur de parfum.
Celle qui remporte tous les suffrages est l’eau de Cologne, inventée par l’italien Jean-Marie Farina qui s’était installé peu de temps auparavant à Cologne.
En 1708, il crée au « Eau admirable » qu’il commence à commercialiser à Paris où son succès est immédiat, et où elle prend le nom « d’Eau de Cologne » fort appréciée car fraiche et légère.
Son succès est si grand qu’il fait des envieux, on connait plus de 2000 tentatives de contrefaçons. C’est Roger et Gallet qui est auojurd’hui détenteur des droits de la recette initiale et qui la diffuse sous l’intitulé Eau de Cologne extra vieille.
François Coty, créateur de parfum, père de la parfumerie moderne
Le père de la parfumerie moderne naît à la fin du XIXe siècle, en Corse.
François Coty grandit au milieu des orangers, que sa famille a implantés sur le territoire Corse. Il connaît donc la distillation de l’eau de fleur d’oranger depuis son enfance.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, François Coty démarre sa vie par une carrière politique, il rejoint Paris afin de travailler en tant qu’attaché parlementaire d’un député corse.
Un jour, il rencontre un grand apothicaire parisien, le pharmacien Raymond Goery, grand distillateur d’eau de rose et autres eaux florales.
Coty tombe fou amoureux du laboratoire de chimie, à la pointe de la modernité que Goery lui fait visiter, et ce dernier, voyant son enthousiasme et comprenant rapidement son potentiel de « nez » l’initie à la parfumerie.
Après à peine trois années de travail, de recherche et de formation, en 1904, il crée sa propre entreprise, convaincu de l’intérêt commercial du parfum et de son potentiel à devenir un « produit de masse » et à ne plus seulement être réservé à une élite.
Il est un nez éclectique, qui va oser les Chypres, mais aussi les Orientaux mêlant sans complexe fragrances naturelles et fragrances synthétiques…
Son leitmotiv :
« Donnez à une femme le meilleur produit que vous puissiez préparer, présentez-le dans un flacon parfait, d'une belle simplicité mais d'un goût impeccable, faites-le payer un prix raisonnable, et ce sera la naissance d'un grand commerce tel que le monde n'en a jamais vu. »
François Coty Tweet
Le style et les techniques verrières de ses premiers flacons sont assez simples.
Pour le rendre unique et lui apporter une valeur ajoutée sans forcément exploser le coût de fabrication, François Coty décide de travailler l’étiquette de ses flacons.
Ce n’est rien d’autre que du carton emboutie et doré, qu’il vient coller. Une technique peu onéreuse qui apporte une grande valeur ajoutée au produit final.
L'Effleurt, première collaboration entre Coty et Lalique
Cotty va très rapidement solliciter René Lalique. La première collaboration date de 1908, pour un parfum qui s’appelle l’Effleurt.
Pour ces deux hommes, la vocation est la même, baisser les coûts, afin de pouvoir toucher les classes moyennes supérieures (on retrouve ici l’idéal prôné par Émile Gallé durant l’Art nouveau).
René Lalique met au point la technique du verre soufflé, moulé et pressé afin de produire semi industriellement des flacons stylisés et figuratifs.
L’Effleurt est en cristal de Baccarat, orné d’une plaque de verre collée à chaud créée par René Lalique.
Coty crée Ambre antique, une fragrance de parfum à base d'ambre gris
Coty sera également le premier à faire un parfum oriental, l’Ambre antique, qui contient de l’ambre gris, une concrétion intestinale du cachalot (sécrétions biliaires).
Coty est le premier parfumeur à présenter ses créations dans les grands magasins
Il ne reste que la question de la commercialisation. François Coty ne peut passer chez les apothicaires ni chez les parfumeurs au risque de perdre sa clientèle.
Il décide alors de démarcher les grands magasins, et c’est une réussite.
Désireux de promouvoir ses parfums à une plus large clientèle, Coty va conquérir l’Amérique.
Le problème majeur qui s’impose est les frais de douanes. Afin de les contourner, Coty crée ses usines de montage aux États-Unis. Cela lui permet de n’envoyer que les matières premières tout en ayant un pouvoir de négociation sur ces taxes, créant des emplois sur le territoire américain.
Dès ses débuts, Coty découvre que la clientèle américaine aime le parfum, mais préfère le maquillage. Il va ainsi inventer les premières poudres parfumées et une multitude d’accessoires.
À la fin de sa carrière, Coty développe de nouvelles lignes de maquillage dans la même esthétique que ses parfums.
Paul Poiret, le premier couturier parfumeur à Paris
Les Années Folles voient l’apparition des premiers couturiers-parfumeurs.
Cette décennie d’ivresse est caractérisée par une insouciance, la volonté de rattraper le temps perdu durant la guerre, suite à une liberté trop longtemps confisquée.
Ce moment sera associé à l’art et à la fête, et Paris en sera la plus belle vitrine.
Paul Poiret, surnommé « Poiret le Magnifique », se forme chez Worth, première maison de haute couture française.
Cependant, pour Paul Poiret, Worth manque de folie. Il décide de se lancer seul et invente la première robe taille haute.
Entrepreneur de talent, il crée également des entreprises pour chacun de ses enfants. Les parfums de Rosines est un exemple.
Paul Poiret crée un univers de parfum qu’il décline sous une multitude de produits marketing : cartes parfumées, marque-pages mais aussi poupées imbibées de parfum.
Paul Poiret, tout comme François Coty, ont chacun contribué, à leur manière, à la naissance et à l’essor de la parfumerie moderne.
Les années 1960 marquent le début de l'industrialisation et l'abandon du coffret au profit du packaging
Les parfumeurs ont très vite compris l’importance de la présentation du parfum. Le flacon seul ne suffit plus à faire rêver. Il faut lui trouver une enveloppe qui soit tout aussi séduisante.
Cette notion de coffret, qui fait intervenir de vrais maîtres d’art, va peu à peu disparaître dans les années 1960. La naissance du plastique associé à la production industrielle va remplacer le travail artisanal.
Cependant, quelques cristalleries perpétuent ce travail d’excellence à travers des flacons en cristal limités et numérotés, à l’instar de la manufacture Lalique.
- 14xxcm
- 14xxcm
- 11.5xxcm